METTRE EN PLACE ET PERENNISER UN PROJET POUR LES EIP

 

 

Si nous sommes ici aujourd’hui, c’est que, pour parodier Pascal, peu ou prou,  « nous sommes embarqués ». Que nous soyons déjà engagés dans l’accueil des Elèves Intellectuellement Précoces, certains depuis de nombreuses années, ou simplement en réflexion sur la possibilité de mettre en place un projet dans l’établissement, nous nous interrogeons: s’agit-il d’un projet pédagogique comme un autre ?

 

La cause est entendue, l’enfant précoce en difficulté scolaire est reconnu aujourd’hui comme un « élève à besoins éducatifs particuliers ». Mais le terrain est plus complexe et plus flou que pour d’autres spécificités : le sujet a été largement médiatisé ces dernières années, et tout le monde semble avoir un avis sur la question. Pourtant, les idées reçues ont la vie dure, du côté des parents comme du côté des enseignants. La détermination même de la précocité pose question, et les critères de repérage ne font pas toujours l’unanimité, y compris chez les spécialistes (chercheurs, médecins, psychologues). Enfin, le sujet est sensible par nature, puisqu’il touche à ce qu’il y a de plus fondamental dans notre fonction, le  « grand mystère » de l’apprentissage…

Pour toutes ces raisons, la mise en place d’un projet spécifique exige une vraie réflexion au sein de l’équipe éducative sur ses objectifs :

- S’agit-il d’accueillir tous les élèves considérés comme précoces, ou seulement ceux qui sont en difficulté ?

- Veut-on adapter le système à l’enfant, au risque de le marginaliser, ou adapter l’enfant au système, au détriment de ses aspirations personnelles?

- Enfin, l’intention est-elle de modifier l’image de l’établissement, ou au contraire de la conforter ?

Il n’existe évidemment pas de bonne ou mauvaise réponse à ces questions, mais on voit bien que celles qu’on leur apportera impliqueront des solutions très différentes. C’est d’ailleurs tangible dans les quelque soixante expérimentations actuellement recensées en France par l’association PREKOS dans l’enseignement catholique : leur diversité est  bien le signe de la multitude des réponses possibles à cette problématique.

 

Pourtant, les initiatives sont assez étroitement encadrées.

 

Ø      Par les quatre pôles du système d’abord – la famille, l’institution, le groupe classe, l’enseignant - , qu’il faudra prendre en compte simultanément pour garantir la stabilité du projet mis en place.

Ø      Par le cadre institutionnel ensuite, qu’on peut décrire avec ses trois niveaux : 

- l’Etablissement, caractérisé par son histoire, sa culture, son implantation (impossible évidemment de faire abstraction du projet d’établissement) 

- l’Enseignement Catholique ensuite, avec les valeurs fondatrices de la tutelle, les recommandations des instances nationales, par la voix des Assises notamment .

- l’Education Nationale, enfin, par l’intermédiaire des injonctions ministérielles, rectorales ou académiques.

A cet égard, il est bon d’avoir à l’esprit les principaux textes officiels parus ces dernières années, et en particulier le BO d’octobre 2007 qui prévoit pour ces élèves « un enrichissement et un approfondissement dans les domaines de grande réussite, une accélération du parcours scolaire, des dispositifs d’accueil adaptés ».

Compte tenu de tous ces éléments, la voie paraît finalement balisée..

 

Si l’on observe les expérimentations actuelles , on peut les regrouper en quatre types de dispositifs :

Ø      La création d’une classes spécifique, n’accueillant que des EIP (sans critère de niveau scolaire pour ne pas tomber dans le piège de l’élitisme)

Ø      La mise en place d’une classe « panachée », composée d’un groupe plus ou moins important d’EIP au milieu d’autres élèves , assez rapides cependant pour éviter des écarts de rythme trop importants)

Ø      Des activités décloisonnées ( méthodologie, club d’échecs, atelier théâtre etc.…) susceptibles de pallier des difficultés ou de répondre  à des besoins particuliers .

Ø      Un accueil personnalisé qui peut aller d’un simple PPRE (projet personnalisé de réussite éducative) prévu sur un temps limité, à la mise en place d’un UPI (unité pédagogique d’intégration), en passant par le tutorat ou l’aide individualisée.

Là encore, toutes les pistes peuvent être explorées, en fonction des besoins recensés, même si on favorise davantage actuellement les solutions d’intégration progressive.

 

L’élaboration d’un projet demande aussi qu’on prenne en compte les attentes des différents partenaires :

 

Ø      Les parents d’abord, sont souvent demandeurs et parfois désemparés : ils souhaitent une reconnaissance de la précocité de leur enfant, des activités spécifiques, une pédagogie adaptée. Leur exigence est à la mesure de leur implication personnelle, et ils savent exprimer leur reconnaissance si l’expérience se révèle positive. Une communication régulière et une écoute attentive sont nécessaires, mais la maîtrise des décisions reste du ressort de l’équipe éducative.

Ø      Les enseignants sont partagés : quelquefois réticents ou craintifs, ils peuvent aussi se lancer  pleinement dans l’aventure, et même y (re)trouver un élan professionnel.

Mais cette implication est fatigante, et il faut prévoir un relais régulier, ce qui veut dire information et formation des nouveaux arrivants.

Ø      Quant à la gestion du groupe, outre les problèmes classiques de l’hétérogénéité, elle exige une observation attentive pour éviter la stigmatisation et l’apparition des conflits. Elle demande, pour reprendre l’expression d’un collègue, « une bienveillance cadrante ».

 

Ainsi, accueillir des élèves intellectuellement précoces n’est pas une sinécure, et le chemin est semé d’écueils : entre les dérives possibles de l’élitisme et de l’idéologie, les risques de la routine et de l’épuisement, la voie est étroite. Voilà pourquoi il est essentiel de fonder l’action sur des bases claires et consensuelles, qui fassent l’objet d’un écrit facilement communicable. L’existence d’un « pilote » identifié est aussi un facteur de réussite Enfin il est indispensable de se donner le temps d’une réflexion régulière, y compris – et peut-être surtout- lorsque le dispositif est en place depuis un certain temps.

Mais les enjeux sont importants, et l’aventure mérite d’être tentée : ce ne sont pas seulement les EIP qui  tireront profit de notre cheminement, mais aussi les autres élèves en mal-être scolaire, tous ceux qui éprouvent, pour reprendre les mots de Daniel Pennac, un « chagrin d’école ».

 

 

Anne-Marie FRANCOIS

Enseignante en Lettres Classiques et Formatrice

Coordinatrice de l’accueil des EIP au Collège Notre Dame- Les Oiseaux de Verneuil sur Seine